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La nudité à l’écran

mardi 13 avril 2021, 11:32

Les mesures d’encadrement aux États-Unis, au Canada et en France

États-Unis

Depuis le Mouvement #MeToo en 2017, les plateaux de tournages américains ont réagi aux dénonciations en engageant de plus en plus de coordinateurs et de coordinatrices d’intimité. C’est la chaîne Home Box Office (HBO) qui a mené le bal en adoptant une politique en vertu de laquelle toutes les scènes d’intimité de ses séries seraient réalisées avec la présence d’un coordinateur d’intimité. Depuis, plusieurs autres producteurs ont suivi ses pas, notamment Netflix et Amazon. Cette pratique est donc en plein essor aux États-Unis.

Un coordinateur ou une coordinatrice d’intimité est une personne qui facilite la communication entre les producteurs ou productrices et les acteurs et les actrices au moment de la chorégraphie, des répétitions et du tournage des scènes de nudité ou des scènes à caractère sexuel (1). Il ou elle veille à la sécurité des individus impliqués dans les scènes intimes en s’assurant que tout le personnel est conscient du contexte de l’intimité dans le cadre de l’histoire racontée, qu’une communication sur l’intimité ait eu lieu entre les différentes parties prenantes, qu’il existe des voies de dénonciation de harcèlement, que les acteurs et actrices consentent de façon continue à toutes les scènes, et que toutes les scènes d’intimité soient réalisées conformément à la chorégraphie préalablement établie (2).

Aux États-Unis, de nombreux organismes ont été mis sur pied pour répondre à l’essor du phénomène. L’organisme pionnier est Intimacy Directors International. Fondé en 2016 par Tonia Sina et Alicia Rodis, l’organisme à but non lucratif a participé au développement et à la promotion du rôle des coordinateurs d’intimité dans les domaines de la télévision, du cinéma et du théâtre. D’ailleurs, c’est madame Rodis qui est la première coordinatrice d’intimité à avoir été embauchée par HBO. Même si l’organisme a fermé ses portes en mars 2020, Intimacy Directors International a eu un grand impact sur ce secteur puisque de nombreux organismes de certification de coordinateurs d’intimité ont vu le jour à travers le monde. On peut penser, par exemple, à Intimacy Directors and Coordinators et Intimacy Coordinators Canada, pour ne nommer que ces deux là. Au Québec, on peut penser à INTImédia, le premier service offrant aux productions du support pour le tournage de scènes d’intimité fût lancé en début d’année 2021.

Canada

À l’opposé des États-Unis, être coordinateur ou coordinatrice d’intimité n’est pas reconnu comme une profession au Canada, et ce, malgré le processus de formation rigoureux que ces personnes doivent suivre pour obtenir une certification. Par conséquent, intégrer l’exigence de la présence d’un coordinateur ou d’une coordinatrice d’intimité sur les plateaux de tournage canadien n’est pas une tâche facile.

En effet, les ententes collectives qui régissent les conditions d’engagement entre les producteurs ou les productrice et les acteurs ou les actrices ne prévoient que les conditions minimales d’engagement (Loi sur le statut professionnel et les conditions d’engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma, article 27). Un acteur ou une actrice pourraient toutefois négocier des conditions additionnelles telle que l’exigence d’avoir un coordinateur ou une coordinatrice d’intimité sur le plateau de tournage.

Les principales associations professionnelles d’artistes du domaine de la production, l’Union des Artistes (UDA) et l’Association des artistes canadiens de la télévision et de la radio (ACTRA), ont adopté des mesures pour encadrer les scènes de nudité dans leurs ententes collectives avec l’Association québécoise de la production médiatique (AQPM), qui représente les entreprises de production indépendante en Cinéma, en Télévision et en Web (3).

Tout d’abord, à l’étape de la première audition pour une scène de nudité, il est interdit d’exiger la nudité ou la semi-nudité d’un ou d’une artiste. L’artiste et l’association d’artistes doivent être avisés de la nature de l’audition, et l’association d’artistes doit également être informée du lieu, de la date et de l’heure de celle-ci. Une seule audition subséquente peut exiger la nudité ou la semi-nudité de l’artiste, mais celle-ci doit se limiter à l’examen du corps de l’artiste.

L’artiste ne peut être contraint(e) de faire un geste à caractère sexuel pendant l’audition. Cette audition doit aussi être tenue à huis clos et la présence d’au moins deux témoins, mais pas plus de cinq, est requise. Les témoins doivent nécessairement avoir un intérêt professionnel direct qui justifie leur présence. L’artiste peut également demander à un représentant ou à une représentante de l’association d’artistes d’être présent ou présente. Finalement, il est interdit de conserver des photos, des pellicules ou des enregistrements d’une telle audition sans le consentement écrit de l’artiste.

Ensuite, les ententes collectives imposent aussi un contenu obligatoire dans les contrats des acteurs et des actrices qui filment des scènes de nudité. Pour le tournage d’une scène, le contrat doit nécessairement comprendre une annexe de nudité qui contient une mention du degré de nudité requis pour la scène, la tenue portée pendant la scène, la nature des gestes de sexe simulé ou toute autre activité réalisée pendant que l’artiste est nu(e) ou semi-nu(e), ainsi que toute autre information pouvant être utile. Si l’annexe est incomplète quant à la nature et à la description d’une scène de nudité, l’acteur ou l’actrice pourra refuser de tourner toute partie de la scène qui ne se trouve pas dans l’annexe.

L’annexe doit être transmise à l’acteur ou à l’actrice au moins 48 heures avant le tournage de la scène et ce dernier ou cette dernière doit retourner l’annexe signé dans les 48 heures qui suivent sa réception ou le début du tournage de la scène en question.

Le contrat doit également contenir une clause qui permet à l’acteur ou à l’actrice de refuser de tourner une scène de nudité, et ce, même si le contrat a déjà été signé. Cette clause n'entraîne aucune responsabilité pour l’acteur ou pour l’actrice qui choisit de s’en prévaloir. Toutefois, le producteur ou la productrice peut choisir la doublure de son choix si l’acteur ou l’actrice refuse de tourner une scène prévue à l’annexe après la signature du contrat. Dans les cas où une scène de nudité n’a pas été prévue dans une annexe, la doublure peut être choisie avec le consentement de l’acteur ou de l’actrice.

De plus, les ententes collectives établissent également des règles pour encadrer les répétitions et le tournage des scènes de nudité. L’équipe de production ne peut pas obliger un acteur ou une actrice à répéter nu(e) sauf s’il s’agit de la dernière répétition pour la caméra et l’éclairage. Pendant cette répétition et le tournage de la scène, le huis clos est requis et seules les personnes qui ont un intérêt professionnel direct peuvent être présentes. Toute autre personne ne peut observer la scène, même par l’intermédiaire d’un moniteur. L’usage d’un téléphone cellulaire, d’appareils mobiles et de caméras personnelles est interdit dans le huis clos.

Enfin, les ententes collectives prévoient également qu’après le tournage, les clips et les captures des scènes de nudité ou de semi-nudité ne peuvent être utilisées pour faire de la promotion ou de la publicité, ou dans les bandes annonces, sans le consentement écrit de l’acteur ou de l’actrice. À l’étape du montage, l’artiste peut également s’assurer que l’équipe de production respecte les dispositions du contrat en demandant la permission de visionner les scènes de nudité, de semi-nudité ou d’intimité où l’artiste apparaît (4).

France

En France, c’est une toute autre approche qui prévaut. À la date de la rédaction de l’article, il n’existe pas de règles qui encadrent spécifiquement le tournage des scènes de nudité ou d’intimité comme c’est le cas au Canada. La présence des coordinateurs ou des coordinatrices d’intimité n’est pas une pratique courante non plus à l’opposé des États-Unis. Dans le secteur français du cinéma et de l’image animée, les inconduites à caractère sexuel sont encadrées par une approche plus large qui vise à prévenir, à mettre un terme ou à sanctionner le harcèlement sexuel.

En effet, depuis le 1erjanvier 2021, les employeurs du cinéma, de l’audiovisuel et du jeu vidéo qui souhaitent bénéficier des aides financières du Centre national du cinéma et de l’image animée doivent respecter une série d’obligations de prévention du harcèlement sexuel et de mise en œuvre de mesures propres à y mettre fin ou à le sanctionner (Code du cinéma et de l’image animée, article 11-36-1 du Règlement général des aides financières du Centre national du cinéma et de l’image animée). Parmi ces obligations, on retrouve notamment :

  • L’exigence de mettre en place un dispositif d’information dans les lieux de travail, y compris les lieux de tournage, sur le harcèlement sexuel, les actions en justices ouvertes en matière de harcèlement sexuel et les coordonnées des autorités et des services compétents ;
  • La nécessité de désigner une personne chargée d’orienter, d’informer et d’accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement sexuels lorsque l’entreprise emploie au moins 250 employés ;
  • L’élaboration d’une procédure interne de signalement et de traitement de faits de harcèlement sexuel ;
  • Le suivi d’une formation destinée au représentant légal ou à la personne en charge des questions de prévention du harcèlement sexuel qui a pour objectif d’introduire l’individu à la prévention et à la détection des comportements inappropriés à tous les stades de la production et de la diffusion des œuvres.

Conclusion

Bien que les mesures qui existent dans ces trois pays visent à protéger les acteurs et les actrices contre les inconduites sexuelles lors de la réalisation des scènes d’intimité ou de nudité, on peut constater qu’elles n’offrent pas toutes le même niveau de protection. En effet, certaines mesures ont un caractère préventif tandis que d’autres sont davantage un remède à un incident qui s’est déjà produit.

L’exigence d’avoir un coordinateur ou une coordinatrice d’intimité sur les plateaux de tournage, une tendance qui prend de plus en plus d’ampleur aux États-Unis, offre à première vue la meilleure protection aux acteurs et aux actrices. Lorsqu’un tiers est présent au moment de la réalisation d’une scène d’intimité ou de nudité, il agit à titre d’intermédiaire impartial qui aide l’équipe de production à matérialiser sa vision pour la scène tout en protégeant l’intégrité et le bien-être des acteurs et des actrices impliqués. Le coordinateur ou la coordinatrice d’intimité peuvent donc intervenir avant même qu’une inconduite à caractère sexuelle ne survienne.

Quant aux mesures prévues dans les ententes collectives entre l’AQPM et l’UDA ou l’ACTRA, ou dans le Code du cinéma et de l’image animée, elles visent surtout à sensibiliser les différentes personnes impliquées dans la production cinématographique aux inconduites qui pourraient survenir sur les plateaux de tournage, ou à informer les artistes de l’étendue de la nudité qui pourra être requise et à encadrer l’usage qui sera fait des images filmées. Les ententes collectives au Canada et les obligations imposées aux employeurs en France requièrent également que des procédures soient mises en place pour traiter les plaintes et pour offrir des ressources d’aide aux victimes.

Les mesures qui prévalent au Canada et en France ne prévoient pas la présence d’une tierce personne qui supervise le tournage des scènes de nudité ou d’intimidé et qui peut intervenir au moment opportun pour prévenir une inconduite à caractère sexuel. Au Canada et en France, la protection des acteurs et des actrices dépend donc en grande partie de leur connaissance des obligations de l’équipe de production et des dénonciations qu’ils ou elles font lorsque celle-ci ne les respecte pas.

Références

(1) (2) En ligne : http://docs.wixstatic.com/ugd/924101_924a4af5ad7d47aa9d357d70450de14f.pdf

(3) Entente collective entre l’ACTRA et l’AQPM (valide du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2021) ; Entente collective entre l’ACTRA et l’UDA (valide du 2 février 2020 au 1er février 2023).

(4) Les règles expliquées ci-haut sont prévues dans les ententes collectives entre l’ACTRA et l’AQPM, et entre L’ACTRA et l’UDA que vous pouvez consulter aux adresses suivantes:

  • Entente collective entre l’ACTRA et l’AQPM (valide du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2021) : https://www.aqpm.ca/100/actra
  • Entente collective entre l’ACTRA et l’UDA (valide du 2 février 2020 au 1er février 2023): https://uda.ca/sites/default/files/docs/ententes/entcol-uda-aqpm_television_cinema_2020-02-02_au_2023-02-01_-_25_fev.pdf

À propos de l'autrice

MARIYA VOLOSHYN

Étudiante en droit et chargée de projets chez Juripop

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